de la chute S5 à la grande plage ouest – 21 km (Total : 145 km)

Météo : Soleil le matin puis mitigé avec de larges éclaircies. Vent forcissant SW puis ouest
6 h 09, la couronne solaire rougeoyante émerge derrière l’île aux épinettes en amont de la chute, matin paisible, café à la main sur les dalles de granit, l’esprit dévoré par un flot de pensées. Parmi celles-ci, l’envie, curieuse, d’aller voir derrière le méandre en aval comme un inaltérable appel à l’exploration. Aux pieds de la chute, dans le grand contre-courant circulaire, pas de sable, des rives lessivées par les crues du printemps. Dans ces conditions faciles, le démontage du campement permit de tout ranger proprement et assez vite.

La flottille reprit le cours de sa descente, se libérant peu à peu du grondement sourd de cette chute puissante. L’équipe ambitionnait pour cette journée d’atteindre un chapelet d’îles de de belles plages orientées vers l’ouest à une vingtaine de km. Portés par un courant souvent sensible et par un vent forcissant globalement favorable, les canoës glissaient sans peine à bonne allure, enchaînant les quelques rapides qui jalonnaient le parcours.

Avant la fin de la matinée, la flottille qui naviguait le plus clair du temps en convoi assez groupé, avait déjà couvert quelques 17 km et atteint l’un des points clefs du jour : un nouveau passage classé « S5 » par le topo qui indiquait la nécessité d’un portage ou d’un cordelle par la rive droite. Après reconnaissance à pied, les équipages décidèrent de tenter le passage à la pagaie. L’exercice se révéla certes un peu manœuvrier avec nos lourdes embarcations mais il fut négocié sans difficulté majeure par les trois binômes. Sans doute un niveau d’eau plus important aurait rendu ce passage bien plus délicat à franchir, avec notamment des mouvements d’eau plus marqués en travers de la rivière. 

L’objectif du jour fut atteint un peu plus loin, nous trouvions bien les vastes plages de sable convoitées avec cette orientation propice vers l’ouest pour nous mettre à l’abri des vents de secteur est. Le vent avait viré un peu au sud en forcissant, mais la forme incurvée de ces petites baies nous en protégeait également. L’équipe aurait encore continuer un peu plus sur la rivière, mais en 7 jours seulement, alors que nous en disposions de 17, la moitié de la distance de notre voyage était déjà dépassé, nous laissant désormais largement le temps de flâner, d’explorer ou d’anticiper tout problème, climatique notamment, susceptible de nous empêcher de progresser.

Au rythme moyen de 20 km par jour que nous avions tenu jusqu’alors, le voyage intégral allait nous prendre douze ou treize jours tout au plus. Cela pouvait se faire sans difficulté avec cette équipe aguerrie, mais ce n’est pas l’esprit du groupe, bien plus en quête d’un voyage convivial de découverte que d’un séjour sportif. Avec sagesse, Jean, en expert avisé de ce type de voyage au long cours dans le grand nord sauvage du Québec rappelait toutefois à juste titre que cette petite avance pouvait très rapidement fondre notamment si le vent d’ouest venait à s’installer durablement, avec vigueur en général comme le suggérait le topo. La traversé des grands lacs à venir, ou même des étendues d’au plus modestes, pouvait alors devenir de véritables défis, voire relever de l’impossible en cas de fort clapot de face avec ce type d’embarcation. D’autres expéditions avaient dû renoncer à terminer leur parcours précisément en raison de vents forts de face. Pour nous toutefois, la possibilité de nous arrêter avant le terme du voyage ne constituait pas une option possible car il n’y avait aucune piste, ni aucun moyen d’accès avant l’arrivée. Nous n’avions donc pas d’autres alternative que de terminer, quelque soient les éléments climatiques rencontrées. Dans ces conditions, notre petite avance n’était pas un luxe mais plutôt une modeste réserve de temps disponible en cas d’imprévu. Nous en étions avisés. Comme pour nous en convaincre plus encore, le vent forcissait tellement cet après-midi sur la plage que la bâche ne put pas être dressée pour la première fois, au risque d’arracher les œillets.