de l’isthme brûlé à la chute S5– 12 km (Total : 124 km)

Météo : Cirrus à l’aurore puis ciel mitigé mais sans précipitation
A l’aurore, le vent avait viré à l’est, calme avec quelques risées à la surface de l’eau. Cela favorisait notre progression vers l’ouest avec un programme chargé d’eaux vives pour la journée. Quant au ciel gris et assez bas, nous ne dispositions d’aucune prévision météo pour savoir quel type de climat nous attendait chaque jour. Quoiqu’il advienne, nous n’avions pas d’autres choix que de faire avec. Dans ces conditions, à quoi bon philosopher sur la météo ? Au loin, on percevait le son des rapides en amont et en aval dont le grondement sourd perçait le silence de plomb. Tandis que le soleil s’extirpait lentement des griffes des épinettes à l’horizon, le temps du café était venu, il fallut démarrer le feu avec des écorces de bouleau précautieusement conservées au sec. Ce combustible se révélait bien meilleur que n’importe quel morceau de papier. Dès les premières flammes stabilisées, une pleine bassine d’eau collectée la veille dans la rivière pouvait être pendue sous le trépied. Après 10 minutes à peine, l’eau bouillait, le premier café chaud et fumant s’offrait à nos papilles face au ciel rougeoyant dans le levant.

Si l’étape du jour s’annonçait relativement tranquille en distance (12 km environ), celle-ci comportait deux passages non navigables dont ne savions pas encore si leur franchissement allait nécessiter un fastidieux portage ou une simple cordelle. Il s’agissait d’abord d’une brutale rupture de pente de près de dix mètres de hauteur répartie sur 3 bras distincts autour de petites îles. Le topo indiquait une possibilité de cordelle par un goulet en rive droite, mais sur place, il n’y avait rien de tel. Il fallut une fois sur place, engager le second portage du voyage sur une longueur d’environ 250 mètres. A nouveau, tous les bisons durent être débarqués et transportés uns à uns grâce aux trois claies dont nous disposions en trouvant un cheminement à travers la broussaille. Puis vint le tour des trois canoës. Une épreuve bien physique quelque peu soulagée par la dégustation des abondantes myrtilles de ces buissons ajourés. L’opération nous prit une heure trente environ mais cette fois dans un bois intact non affecté par les incendies. Au détour de ces manœuvres pour rechercher la meilleure voie de passage, et le débarquement idéal, un authentique castor canadien nous fit l’honneur de sa visite sans doute pour venir voir de plus près ces intrus bipèdes qui s’affairaient sur son territoire.

Après une pause à l’aval, la flottille repartait vers le second obstacle du jour atteint 3 km plus loin : une belle chute puissante entre des blocs de granit. Ce passage, classé S5 par le topo se révélait particulièrement esthétique. Le courant accélérait rapidement pour dévaler sur une pente de quelques mètres avant de générer une puissante veine d’eau. Ce profil particulier donnait presque l’envie d’être franchi à la pagaie, mais avec nos canoës chargés, il n’en était évidemment pas question. Après quelques hésitations, Jean proposa de le franchir en cordelant les canoës depuis la rive droite en les glissant sur les dalles de granit. La manœuvre était risquée mais Jean nous fit une démonstration de cordelle avec le passage du premier canoë sans le moindre dommage. La manœuvre des deux autres canoës fut une formalité. Ce fut une riche idée qui nous évita un nouveau portage fastidieux pour quelques mètres seulement.

A l’aval, chacun se regardait, analysait le potentiel du site et décida finalement de poser le campement là directement sur les dalles rocheuses, pour nous changer du sable. C’était en effet un bel endroit, un tantinet bercé par le ronronnement puissant de la chute à une cinquantaine de mètre à peine. Tout autour de l’emplacement choisi pour établir le campement et poser les tentes, de nombreuses traces d’ours, notamment des excréments remplis de myrtilles et de baie rouges, nous indiquaient toutefois que le plantigrade appréciait lui aussi le lieu, de quoi nous inviter à la plus grande prudence lors de nos allers et venues, notamment pour aller chercher du bois mort pour le feu. Le soir venu autour du foyer sous la bâche tendue, nous plaisantions en évoquant le sujet de l’ours mais on sentait malgré tout poindre dans les esprits une petite pointe d’appréhension, notamment en évoquant la taille que pouvait avoir l’animal au regard du diamètre de son étron de l’ordre de 7 à 8 cm de largeur. Certains révélaient alors disposer de bombes de gaz répulsif ou de clochettes censées éloigner l’animal un peu trop curieux. Il fallut bien cela pour partir sereinement autour du campement à la cueillette de myrtilles pour s’engager dans la lumineuse idée d’Anne et de Karin de préparer une délicieuse tarte aux myrtilles. Quant aux pêcheurs Jean et Denis, les voila qui repartaient dans les courants en quête de truites. En guise du poisson convoité, ce fut finalement une nouvelle fois un beau brochet vorace qui avala le leurre, de quoi préparer un délicieux carpaccio pour l’apéro au bord de la rivière avec citron et échalote, suivi d’un repas de lentilles accompagné de filets de poissons en friture à la chair tendre. Et de conclure par une excellente tarte aux myrtilles. Ce fut résolument ce soir du campement sauvage de grand luxe dans un cadre magnifique, idéal pour laisser nos pensées s’évader dans un profond sommeil porté par le ronronnement régulier de la cascade toute proche.