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Expédition en canoë au nord du Québec en autonomie du 11 au 27 août 2023

JOUR 15 / 16 - vendredi 25 août 2023 : Rivière Rupert

voir aussi le Topo par M;Masson : cliquer ici (pdf)

voir aussi les cartes satellite par P.Bunichon : cliquer ici (pdf)

de la Plage en côte nord de Rupert à la confluence du bras de la piste du nord – 11 km (Total : 541km)

Météo : Pluvieux puis mitigé. Vent faible. Forte dégradation par l’est en soirée.
La dépression amorcée la veille fur active une bonne partie de la nuit avec de fortes averses entrecoupées de moments plus calmes, pas vraiment les conditions d’un sommeil profond d’autant plus que Denis se mit à revivre oralement de manière somnambule avec énergie et moult consignes un des cours d’EPS qu’il enseignait alors qu’il était professeur de sport dans un lycée. Peu enclin à suivre ces directives plutôt formelles (…), je quittais la tente le plus silencieusement possible pour ne surtout pas m’immiscer dans le plaisir de son rêve. Comme chaque matin, j’allumais le feu et m’offris mon premier café en mode méditation devant le plan d’eau encore arrosé par de copieuses averses. Jean émergea à son tour, il avait lui aussi bien dormi mais il semblait malgré tout préoccupé, l’esprit envahi par un brin de nostalgie. Le voyage touchait à sa fin, nous allions ce matin nous engager sur la rivière et demain déjà, se profitait la dernière navigation de notre voyage, peut-être l’ultime étape de ce genre sur les rivières québécoises. Et après ? La question était centrale à présent. Pour Jean, qui portait en lui une partie de Canada après tant de voyages vécus ici sur ces rivières isolées dont une bonne partie avec son père, le regretté Fernand, puis sur les traces de ce dernier avec les valeurs profondément humaines. Comme il l’évoqua avec nous depuis quelques temps, cette expédition que nous étions en train de vivre à ses côtés serait sans doute la dernière. Jean était en pleine forme mais le temps qui passe avançait malgré tout comme pour tous et, sans nous le dire vraiment, il avait peut-être envie de passer à autre chose ou de transmettre, au moins en partie, le relai de l’organisation énergivore de ces projets complexes. Mais il y avait aussi l’épineuse question de la logistique relative aux canoës. La flottille au complet comptait en fait huit canoës, les trois nôtres et cinq autres stockés chez Luc et Marie-France ainsi que l’ensemble du matériel associé pour ces voyages en autonomie (pagaies, gilets jupettes, remorques, bidons, popotte et outillage), soit un volume d’équipement important à immobiliser dont une bonne partie à l’abri. Or, Luc et Marie-France, chez qui tout ce matériel était entreposé depuis plus de 20 ans, avaient mis leur maison en vente, souhaitant se rapprocher de leur fille installée à Chicoutimi, à un peu plus de 100 km plus au nord dans la région du Saguenay. Autrement dit, jean avait cette nouvelle contrainte de devoir libérer Luc et Marie-France de tout ce matériel sans disposer pour l’instant de solution de repli, sinon celle de tout vendre, ou de le donner à une association locale de passionnés de canot camping. Quelques jours plus tôt, il avait d’ailleurs sollicité notre avis sur le devenir des canoës que nous utilisions, ces fameux « Mouchalagane » marqués ici au Canada par une histoire riche de nombreuses aventures vécues et partagées par un grand nombre de navigateurs sur de multiples rivières. Un livre ne serait pas suffisant pour relater toutes les anecdotes et moments forts ayant jalonné ces expériences : la Moisie, la Peribonka, la Savane, la Métabetchouane, la Mistassibi, la rivière aux Outardes, la rivière à la Mate, la rivière aux Sables, … et tant d’autres. Certains d’entre nous lui répondaient en lui proposant de rapatrier les canoës en France par cargo pour ravir le cœur de passionnés ou celui de ceux qui avaient vécu une de ces expéditions, mais les autres, moins attachés au matériel et à la symbolique que celui-ci représentait, suggérait au contraire de contacter un club local et de tout lui donner, même gracieusement si nécessaire. Le débat était nourri. Quoiqu’il en soit, toutes ces discussions avaient vraiment un goût de fin d’aventure alors que tant de noms de rivières inconnues repérées par Jean sur des cartes ou sur des topos glanés ici ou là lui résonnaient dans la tête comme de nouvelles expéditions à entreprendre. Il y avait là un énorme potentiel pour que le relai puisse être transmis, et qu’un nouveau porteur de ces projets de voyages en canot camping au Québec reprenne le flambeau en concevant et en mettant en œuvre de nouvelles expéditions. Désormais, la pérennisation de l’aventure en dépendait et l’échéance était courte. Tout cela expliquait sans doute pour une partie non négligeable l’air un peu troublé de Jean. Il arrivait là à un véritable point d’étape dans sa vie de céiste globe-trotter. Dans ce matin frais et humide, il n’était vraiment pas facile pour moi de me mettre à sa place et de ressentir la mesure du blues qui le traversait., avec la force des souvenirs et des émotions de toutes ces années. Devant le feu, café à la main sous ce temps maussade, peu de mots entre nous, juste un silence profond de pensées. Demain, c’est sûr, un nouveau cap sera franchi, la fin d’une ère, peut-être le début d’une nouvelle.

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« A 8 h piles », s’exclamait Denis, pagaie fermement empoignée, nous donnions nos premiers coups de pagaie sur des eaux étonnamment calmes à peine irisées par un léger souffle de sud-ouest, passant bientôt au sud puis au sud-est. Nous croisions assez vite la cabane et ses bancs de sable si particuliers, et bientôt, l’étonnant isthme étroit découvert la veille. Quelques photos au passage, puis nous reprîmes notre route à travers ce long et large couloir vers l’ouest. Très apaisée, la suite du parcours à allure modérée fut tranquille sur des eaux aux allures de miroir dans lequel se reflétaient les contours des collines aux alentours avec notamment ces lignes d’épinettes comme des graphiques parfaitement symétriques. Dans cet univers assez étrange, la flottille s’éparpillait progressivement, un premier équipage continua inlassablement vers notre objectif du jour, le second allait explorer la rive sud espérant vainement une rencontre avec l’orignal, tandis que le dernier, celui de nos amis pêcheurs Jean et Denis préféra s’arrêter dans une petite crique pour reprendre la partie de pêche initiée la veille sans succès.

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L’objectif du jour était d’atteindre une plage située juste après le virage vers le nord de la Rupert, précisément à l’entrée du bras que nous allions devoir suivre pour rejoindre le débarcadère de la piste du nord, point de rendez vous avec Luc dimanche matin. A cette allure paisible, il nous fallut un peu plus de deux heures pour arriver en ordre dispersé à la plage convoitée recommandée par notre topo. Plus loin, sur la même rive, se trouvaient les tentes d’un autre campement manifestement occupé mais sans âme qui vive au moment où nous débarquions. Nous préférions, là encore, restés à distance et occuper une autre plage. Celle que nous avions choisi était parfaite. Rapidement, presqu’avec une certaine forme de routine, nous montions pour la dernière fois le campement complet avec bâche et trépied, à l’emplacement d’un ancien campement dont nous n’utilisions pas le foyer, pas optimal dans le cadre de notre organisation. Nos amis pêcheurs nous rejoignirent à leur tour, cette fois très fiers de nous montrer une belle prise : un énorme brochet qui pendu à un bâton mesurait près de 1 m 10 de longueur. Le camp voisin fut rejoint un peu tard par les deux barques à moteur que nous avions croisé plus en amont deux jours plus tôt. En passant devant nous, ils ne vinrent pas nous voir comme si eux non plus ne cherchaient pas le contact. Ils plièrent très vite leur campement et repartaient sans tarder, probablement eux aussi vers le débarcadère de la piste nord, nous abandonnant à nouveau à notre solitude.

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Dans l’après-midi, après une courte exploration en canoë des îles voisines, aux formes étonnantes et aux abris multiples, le vent se mit soudainement à tourner à l’est et dans la foulée, une bonne pluie commença à s’activer avant rapidement de redoubler d’intensité et de ne plus s’arrêter. Cette nouvelle situation climatique compliqua un peu notre repas du soir même si le carpaccio de brochets suivi de filets fris à l’huile d’olive fut délicieux. Sous la pluie battante, le feu devenait très capricieux avec le risque d’être noyé par un renforcement de la pluie. Même rejoindre nos tentes et nous y engouffrer sans tremper l’intérieur s’avéra un exercice particulièrement délicat et acrobatique. Heureusement avions nous choisi de réaliser cette avant-dernière étape le matin et non l’après-midi comme cela avait pu être envisagé un temps. Sans disposer de la moindre information météo, nous n’avions en nous couchant aucune idée ce que ce climat apparu soudainement nous préparait pour la nuit. Nous fûmes vite renseignés. 

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A peine nous étions nous engouffrés dans nos duvets que le coup de vent humide qui avait démarré pendant le repas devint cette fois carrément tempétueux avec une pluie redoublant d’intensité à la manière d’un grain violent mais permanent. Nous espérions tous que cet excès d’humeur éolien du climat local ne serait que passager et que le calme allait revenir, mais il n’en fut rien, bien au contraire. Chaque bourrasque semblait plus forte que la précédente, nos tentes étaient malmenées sur cette plage désormais complètement exposée au vent. Dans cette nuit agitée et bruyante avec le souffle puissant qui balayait la tête des épinettes ou le clapot devenu vagues déferlant sur les rives. Les toiles claquaient, se pliaient et dansaient dans tous les sens, les arceaux se courbaient à l’intérieur, sur la tête de Denis, un tantinet importuné par ce foutoir. Nous avions atteint la limite de résistance de nos frêles abris, il fallut d’abord sortir une première fois pour consolider les piquets arrachés par le vent en les remplaçant par des ancrages bien plus solides et enfoncés profondément dans le sol. Peu après, nous dûmes replonger à nouveau dans le noir cette fois pour affaler à la hâte la bâche qui menaçait d’exploser en arrachant ses œillets. Déjà, tout ce qui s’y trouvait dessous avait volé au sol ou à plusieurs mètres de distance. Dans l’obscurité, nous tentions de rassembler tout ce que nous pouvions voir et de le glisser sous le canoë en vrac à l’abri. Au passage, nous prenions garde à jeter un œil vigilant pour ne pas être surpris par un ours de passage indifférent à la tempête. Toutes les affaires sensibles à peu près protégées et rassemblées, nous pensions enfin pouvoir dormir dans l’attente de l’accalmie mais l’énergie des éléments ne faiblissait toujours pas, les structures de nos tentes chaloupaient au rythme du vent. Ce mouvement permanent, sans temps mort, nous empêcha de fermer l’œil toute la nuit au moins jusqu’à 3 h du matin lorsque qu’une légère baisse d’intensité nous accorda un peu de répits sans toutefois faiblir sensiblement. Ce fut sans aucun doute la nuit la plus agitée de tout le voyage, juste pour nous rappeler ce que peut aussi être le climat local lorsque les éléments décident ainsi de bousculer les voyageurs qui osent s’aventurer dans ces contrées isolées. Le plus frustrant était de ne pas avoir vu venir ce phénomène météo par manque de la moindre information météo.  

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Passage d'un grain sur le camp 15 - cliquer pour visionner
© Photos : Patrick Bunichon, Anne Cherpin, Mathieu Morverand - Tous droits réservés, All rights reserved, Todos los derechos reservados, Alle Rechte vorbehalten - contact