de l’île centrale après le R3 à la plage en côte nord de Rupert – 8 km (Total : 230 km)

Météo : ciel clair. Vent forcissant ouest puis nord-ouest. Accalmie en soirée.
La nuit fut particulièrement fraîche, rendant nos duvets presque un peu légers pour nous épargner des crocs de la fraîcheur nocturne. Dans ces conditions, le sommeil fut léger et le réveil matinal. Sur la rivière devant le campement, des volutes de nuages s’étalaient à la surface trahissant les écarts de température importants entre l’eau et l’air. Paisible atmosphère pour apprécier pleinement cette relation privilégiée avec la nature avant que l’équipe n’émerge et que l’activité matinale préalable au départ ne batte à nouveau son plein. Le démontage du campement comme toutes les autres tâches répétées quotidiennement depuis bientôt 15 jours étaient maintenant automatiques, presque routinières. Nul besoin de palabrer, chacun savait ce qu’il devait faire et la machine s’engageait à présent de manière bien huilée sans le moindre raté.

Depuis quelques jours, le poids de nos chargements respectifs avait sensiblement diminué, nos réserves de vivres s’amenuisaient de jour en jour à l’approche de notre arrivée. La petite île de notre campement fut rapidement contournée par le nord à la faveur d’un léger courant, assez sensible malgré tout pour vite nous retrouver de l’autre côté à l’entrée du bras nord repéré la veille. La belle colline que nous avions aperçue se détachait maintenant clairement devant nous. Selon le topo, celle-ci allait nous accompagner tout au long du parcours, nous devions la contourner par le nord-est avant de repartir vers notre dernier cap à l’ouest. Dans une section un peu plus large, apparurent soudainement devant nous deux bateaux à moteur avançant à vive allure dans notre direction. Nous premiers humains depuis 13 jours ! La rencontre demeura distante malgré un salut cordial à une centaine de mètres environ. Ils ne vinrent pas à notre rencontre et nous ne cherchions pas forcément non plus le contact, un peu méfiants ne sachant pas à qui nous avions affaire dans ces lieux encore très reculés. Le dernier virage sur la gauche de notre voyage arriva bientôt. Devant nous à présent, se dessinait une longue ligne droite de 25 km environ au cap ouest-sud-ouest pour atteindre notre point d’arrivée sur la piste du Nord. Pour l’heure, nous nous calions sur notre plan, rattrapant et longeant la rive nord pour bénéficier de l’abri de la rive face aux vents désormais orientés au nord-ouest. Nous dépassions de longues et belles îles bordées de longues plages de sable blanc. Nous souhaitions trouver une plage dans la zone repérée sur le topo et les vues satellites avec si possible, le moins de vase possible à la base.

Finalement, nous jetions notre dévolu sur une belle plage en pointe sur la rive nord comme prévu, juste en face de notre colline vue maintenant sous un nouvel angle, au profil presque attirant. Dés le campement monté, nous repartions Denis, Jean et moi, à trois dans un canoë désormais vide, pour continuer deux kilomètres plus en aval afin de visiter une petite cabane repérée plus tôt. Il s’agissait d’un petit chalet habitable mais encore en chantier posé sur une plage magnifique dans un endroit superbe composé de plages concaves et convexes qui semblaient s’emboiter entre elles avec de petits plans d’eau les séparant comme des atolls protégés. La nature avait ici dessiné de bien curieuses formes, géométriques et élancées, des lignes de fuite très agréables à regarder dans le paysage. 

De retour au campement, nous fûmes honorés par la visite juste derrière la pointe d’un petit ours déambulant dans les herbiers du marigot à une centaine de mètres à peine de nos tentes. Ce voisinage et cette proximité étaient magiques mais en même temps un peu inquiétants. Ce plantigrade, sans doute un adolescent solitaire en quête d’un territoire avait l’air d’évoluer seul mais qu’allait-il advenir si, alléché par les odeurs que nous allions dégager en préparant notre repas, il était tenté de venir nous voir, prévenant au passage ses congénères et pourquoi pas ses aïeux bien plus gros de l’aubaine potentielle ? Nous redoutions en particulier une visite nocturne, lorsque notre vigilance était moindre. Cela justifiait notre attention particulièrement rigoureuse à enfermer toute la nourriture et ce qui pouvait générer une odeur hermétiquement dans les bidons. Karin et Patrick disposaient eux d’une bombe répulsive prête à dégainer positionnée directement à l’entrée de leur tente afin de parer à cette éventuelle visite dans la noirceur de la nuit.

Sans doute dans ce souci de ne pas trop dégager d’odeurs alléchantes, le repas du soir fut plus léger qu’à la coutume avec une tentative d’aligot composée de purée et des quelques fromages à patte molle dont nous disposions encore. Sans avoir réellement ni le goût, ni la consistance d’un authentique aligot, notre mixture sembla malgré tout ravir les convives attablés sous la bâche autour du canoë devant le foyer qui réchauffait l’atmosphère frisquette. Décidément, cette expédition avait vraiment des allures d’expérimentation en matière culinaire, avec de nouvelles inventions presque à chaque repas, motivées par les inspirations de chacun avec une expérience plus ou moins étoffée et parfois d’âpres débats sur la façon de faire. Une palme spéciale tout de même à Denis qui se donnait corps et âme sans compter ni son temps ni son énergie pour nous régaler de ses petites préparations.