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Décidément, même avec la plus grande objectivité, l’observateur rationnel peut légitimement se demander si les éléments ne se sont pas réellement ligués contre notre marin ardéchois. Après les vents qui continuent de pousser davantage vers le sud que vers l’ouest, c’est maintenant ce courant pourtant tant convoité et amplement mérité qui se refuse à Marc si près du but. Serait-ce un affront pour l’océan et ses acteurs qu’un marin d eau douce se lance ainsi dans l’Atlantique ? Là où bien des marins auraient déjà injurié de toute leur rage cet acharnement des éléments (même des très intimes), Marc lui accuse le coup mais reste serein et parfaitement conscient de ce qui se passe, sans optimisme ni fatalisme. Certes, il est fatigué, certes, il serait heureux maintenant de deviner la silhouette de l’Enfant Perdu au-delà de son étrave, mais pour autant, il profite de cette expérience lorsque les conditions sont moins agitées, comme ce fut le cas ces jours derniers, et lui laissent savourer un peu son quotidien de marin, seul au milieu de l’océan, une situation suffisamment inédite pour mériter d’être vécue. Ces moments de plénitude lui sont précieux pour se ressourcer. Cela lui permet de relativiser les moments plus difficiles, dans la tourmente de cette mer aux humeurs contrariantes qui aura marqué le plus clair du voyage. Un pronostic perturbé Dans ce contexte, le rôle d’analyste et de prévisionniste constitue une réelle gymnastique de l’esprit, et une torture nerveuse à bien des égards. Le stress de l’aventure se partage à terre, pour ceux qui – impuissants – assistent au périple malmené de leur ami marin. A l’enthousiasme d’un jour succède le pessimisme du lendemain, le suivi de la route s’orchestre à la manière de son bateau, ondulant de vague en vague, de crête en creux. Nous sommes si près de l’objectif et pourtant, c’est bien dans un creux que les prévisions météo nous placent ce soir avec cette annonce pour demain de vents de nord-est au 45° qui risquent fort une fois encore de contraindre Marc à des efforts athlétiques pour tenir le cap de Cayenne. Jusqu’à présent, les conditions le jour venu ont toujours été pires que celles annoncées par les prévisions. Ne pourrait-il pas pour une fois en être autrement avec des conditions moins dures que prévues ? Les probabilités sont avec nous mais qu’en sera-t-il vraiment ? Même depuis la Guyane, il est toujours aussi difficile de faire un pronostic précis. Quatre marins dans la tourmente Ils ne sont plus que 4 à être encore en mer. Alain ouvre la marche de cette flottille dispersée sur quelques centaines de milles d’ouest en Est, Marc le suit dans son sillage à un peu d’un degré de longitude, Saïd quant à lui, est là juste derrière et un peu plus loin Didier qui traverse à son rythme, lui qui connaît très bien cet océan qu’il a déjà franchi à deux reprises dans les mêmes conditions. Marc est très soucieux de la route suivie par Alain, annonciatrice selon lui de ce qui l’attend 24 à 36 heures plus tard. Il aurait beaucoup aimé finir son périple bord à bord avec son ami, mais Alain est un excellent rameur et Marc sait bien qu’il ne peut pas le suivre, en particulier dans ces conditions d’accalmie relative où la mer ne pousse plus et reste de travers, contraignant les navigateurs à des efforts épuisants sous un soleil accablant qui ferait presque regretter l’humidité des jours passés. Peut-être Saïd, qui semble avoir retrouvé la foi tant sa route est redevenue rapide et régulière tout en restant idéalement nord, rejoindra t-il Marc dans les jours à venir. Cette perspective de ramer de concert avec Saïd sur les dernières encablures avant la ligne de l’Enfant Perdu réjouirait Marc tant les deux comparses s’entendent à merveilles. A n’en pas douter, Saïd, le cadet de la Bouvet Guyane, est en train d’accomplir du haut de ses 26 printemps, un véritable exploit dont lui, sa famille et ses proches peuvent être fiers. Cette situation difficile et épuisante au sortir de leur voyage ne fait que grandir la mesure de l’incroyable aventure que ces quatre là sont en train d’accomplir. Souhaitons leur qu’enfin, les vents et les courants s’accordent pour les laisser passer et leur reconnaître ainsi la beauté de leur détermination et du chemin parcouru. |
![]() ![]() ![]() ![]() Alizés = vents dominant sur l’Atlantique entre l’Afrique occidentale et l’arc antillais |
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